
Entre étonnement et émerveillement, trésor d’un autre temps

A la fois maison et pharmacie, cette pépite de la Belle Epoque nous transporte dans un autre monde : celui du début du XXème siècle. Aujourd’hui, la propriétaire des lieux, Claude Vinchent, nous livre l’histoire de sa famille ainsi que de cet édifice et nous vous la transmettons à notre tour.
Suivez-nous à la découverte de cette merveille d’une autre époque.
Une histoire riche en souvenirs
Nous sommes accueillies par Claude Vinchent, la petite-fille du premier propriétaire. Elle nous raconte l’histoire d’Ulysse et Marguerite, les deux personnes à l’origine de la construction de cette maison et ses grands-parents.
Ulysse Vinchent était diplômé de l’université de Gand et ingénieur en brasserie. Avec ses frères et leur père, ils étaient à la tête d’une brasserie à Frameries qui produisait la bière Double-Vinchent. C’est à la suite de sa rencontre avec Marguerite qu’il a repris deux années d’études à l’Université Libre de Bruxelles afin d’obtenir son diplôme de pharmacien. Claude nous fait remarquer que le cendrier et le vase sont encore en sa possession et sont posés sur le piano.
Marguerite Denis, quant à elle, a suivi des études pour devenir pharmacienne au début du XXème siècle, à une époque où les femmes n’avaient pas de droit politique ou autres. Avant d’être diplômée en 1895 de l’Université Libre de Bruxelles, elle avait effectué son stage à la pharmacie Popelin à Bruxelles. Marie Popelin, fille de ce pharmacien, est une figure marquante du féminisme belge puisqu’elle est la première femme docteur en droit de Belgique. Elle voulait être avocate mais n’a jamais été autorisée à exercer cette profession. Claude nous livre également une anecdote au sujet du tableau où l’on peut voir sa grand-mère : « Normalement, elle devait tenir une fleur mais on ne la voit pas bien. Ma grand-mère s’impatientait et le peintre, Victor Regnart, n’a donc pas eu l’occasion d’achever la toile. »
Claude, quant à elle, n’a jamais voulu devenir pharmacienne. Quand elle était petite, elle a commencé la musique et a continué dans cette voie-là en obtenant un diplôme supérieur de violon et un premier prix de musique de chambre au Conservatoire royal de Mons.




L’art nouveau dans toute sa splendeur
La visite de la maison Vinchent nous replonge dans l’ambiance art nouveau de la Belgique de la Belle Epoque. Ulysse Vinchent a acheté le terrain aux hospices de Mons en 1904 et a commencé vers 1905 la construction de la maison. Les aménagements intérieurs se sont faits un peu à la fois. L’architecte qui a réalisé cette maison est très connu. Il s’agit de Monsieur Eugène Bodson, originaire de Saint-Ghislain, qui a également conçu la maison du peuple de Pâturages, le home pour enfants de bateliers de Saint-Ghislain ainsi que d’autres édifices comme la maison communale de Quaregnon et différentes églises.
En parcourant les différentes pièces et leur cachet de l’époque, nous nous sentons transportées. Nous découvrons les murs recouverts de carrelages émaillés ornés d’une frise florale ou en marbre, le raffinement des stucs, les boiseries remarquables mais surtout les somptueux vitraux qui décorent même les meubles, eux aussi d’origine tout comme le papier peint !
Le souci de l’esthétique se marie bien avec la recherche du détail comme le montre une cheminée où nous remarquons des marguerites. C’est un motif que l’on retrouve plusieurs fois dans la maison et c’est par amour pour son épouse qu’Ulysse a fait placer ce décor un peu partout dans la maison.
Encore aujourd’hui, la modernité n’a pas sa place dans cette maison comme nous le montre la cuisine avec ses murs de faïences, son profond évier rectangulaire, et sa grande cuisinière en fonte noire. Il y a même un ancien boîtier qui permettait de faire monter l’eau de la citerne de la cave au grenier !
La maison est entourée d’un vaste jardin avec de majestueux arbres, de potagers, d’un verger et de dépendances où l’on élevait, jadis, des animaux de ferme.
Le charme des officines d’antan
La pharmacie est restée telle qu’à l’époque, avec ses flacons de verre brun, ses tiroirs, sa balance de précision et ses piluliers. Claude nous en apprend plus sur deux objets qui attirent notre attention : « Ce sont des boîtes qui étaient utilisées pour dorer les pilules afin de faciliter leur absorption, de limiter leur goût souvent horrible et d’éviter qu’elles ne collent entre elles. C’est de là qu’est née l’expression dorer la pilule ! »
Le comptoir, avec ses vitres, marque une certaine distance entre le pharmacien et le patient. Il y régnait une atmosphère mystérieuse qui était entretenue par la profession. Derrière le comptoir se trouve l’armoire à poisons, fermée à clé bien entendu. Le pharmacien devait toujours en avoir la clé dans sa poche.
A cette époque, Ulysse fabriquait encore beaucoup de médicaments. Il achetait les matières premières et préparait les teintures et les extraits fluides pour les potions. Il a même reçu un prix lors d’une exposition à Paris pour deux spécialités : les pilules merveilleuses et les universelles.
De plus, c’est ici aussi que la Croix-rouge avait installé ce qu’on appelle une ambulance. Les blessés Anglais qui avaient participé à la bataille de Mons durant la Première guerre mondiale étaient soignés ici.
Emile, l’époux de Claude, lui-même pharmacien, a occupé la pharmacie jusqu’en 1987. Il avait pensé moderniser puis s’est dit qu’il valait mieux laisser le style tel qu’il était. Il s’est donc débrouillé.
Nous entrons ensuite dans l’arrière officine où les préparations plus complexes étaient concoctées. Nous y retrouvons des objets étonnants tels qu’un livre de comptabilité des stupéfiants, d’anciens flacons en verre et boîtes à cachets, un stérilisateur chirurgical mais aussi un registre datant de 1905. En effet, à cette époque, les ordonnances devaient toutes être recopiées à la main.





Perpétuer le souvenir
Aujourd’hui, la pharmacie est devenue un petit musée dédié à la profession et accueille de temps à autre les élèves des écoles des environs. Les propriétaires ont également ouvert les portes de leur résidence à l’occasion des journées du patrimoine. Une première fois pour la pharmacie, une fois pour les salons et puis une troisième fois pour les vitraux.
L’objectif de Claude est que cette maison prenne vie et de partager un peu tout ce qu’elle aime, c’est-à-dire des conférences, de la musique ou des expositions. « Les gens sont toujours très enthousiastes et il y a toujours un moment de partage après les concerts et les conférences. Les gens aiment écouter de la musique comme on écoutait la musique il y a deux ou trois siècles dans un endroit comme ça, plus convivial. » Elle a eu la chance d’avoir le centre culturel de Colfontaine qui l’a épaulée dès le départ et elle en est très reconnaissante.
La maison Vinchent regarde aussi vers l’avenir et notre visite s’achève par une confidence de Claude : « J’aimerais voir cet endroit classé mais les procédures sont longues et fastidieuses. Il y aura des contraintes, c'est sûr, mais on sait aussi que quand nous ne serons plus là, on ne pourra rien changer. C'est en tout cas ce qu'on espère. »