
Van Gogh dans le Borinage :
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Passionné et passionnant, Filip Depuydt, guide touristique, est aussi membre de la commission patrimoine du centre culturel de Colfontaine et du conseil d’administration du SAICOM, Sauvegarde des Archives Industrielles du Couchant de Mons. Il a accepté de partager avec nous son histoire et celle de Van Gogh dans notre superbe Borinage.
Parlez-nous un peu de vous. D’où venez-vous et pourquoi avoir choisi le Borinage ?
Je viens de Flandre. Je suis venu dans le Borinage pour le charme féminin de la région parce que ma femme habitait à Hornu.
Quelles études avez-vous faites ?
J’ai fait un graduat en secrétariat et langues modernes.
Avez-vous toujours été guide ?
Non.
Pourquoi cette reconversion alors ?
Ça a commencé avec une rencontre que j’ai faite avec des pierres, mais pas n’importe quelles pierres.
Avec des pierres ? Dites-nous en plus, vous nous intriguez.
J’avais une moto et j’étais parti dans les Honnelles, plus précisément dans le village de la Flamengrie sur la frontière au sud-est de Roisin. Dans ce village, il y a encore des bornes frontalières qui ont été placées en 1781. D’un côté on y voit les 3 lys qui symbolisent la France et de l’autre, la tête d’aigle avec l’inscription « Autriche » en-dessous. Je me suis alors dit que c’était incroyable, qu’il est vrai qu’avant, ici, c’était l’Autriche. Ça a commencé à me trotter dans la tête et je me suis intéressé à l’histoire locale des Honnelles.
C’est donc de là qu’est née votre envie de devenir guide. Avez-vous suivi une formation particulière ?
Oui. En 1997, j’ai suivi une formation de guide touristique à Mons. Je travaille au Grand-Hornu depuis 2002 et avec ce que j’avais appris de cette formation, je suis maintenant guide à part entière.
Votre activité de guide, vous l’exercez également via les parcours découverte au sujet du passage de Van Gogh dans la région. Comment vous est venue l’idée d’organiser cela ?
C’est de nouveau grâce à des pierres mais, cette fois-ci, celles de la maison Van-Gogh à Petit-Wasmes, avant qu’elle soit restaurée. J’allais chaque semaine à la banque juste en face et mon banquier m’a un jour expliqué que Van Gogh avait habité là. Je pensais qu’il me faisait une blague mais il m’a assuré que c’était vrai. J’ai alors vu la plaque l’attestant. Je ne connaissais rien sur Van Gogh à cette époque, juste qu’il s’était coupé l’oreille et encore. Je ne m’intéressais pas à l’art. Un peu à la fois, j’ai lu des livres et fait des recherches à ce sujet. Je remarquais également que l’office du tourisme de Mons, à cette époque, faisait visiter la maison de Cuesmes puis envoyait les touristes au Grand-Hornu. Ce n’était pas logique. C’était un ancien charbonnage mais ça n’avait rien à voir avec ce que les gens vivaient à Marcasse. J’ai alors voulu attirer l’attention sur la maison Van Gogh de Petit-Wasmes. J’ai commencé par organiser une petite exposition, en novembre 2010 à Frameries. Ensuite, j’ai organisé les promenades car Van Gogh aimait bien marcher et moi aussi.

Quand Van Gogh est-il arrivé dans le Borinage ?
Il est arrivé en décembre 1878.
Est-il resté longtemps ?
Non, il est resté jusqu’en octobre 1880.
Qu’a-t-il fait durant son séjour ?
Quand il est arrivé, il suivait une formation en théologie et cherchait un poste en tant qu’évangéliste parmi les pauvres. Il a décroché un contrat d’essai pour 6 mois à Petit-Wasmes où il y avait une petite communauté protestante. Il a donc été le premier évangéliste protestant dans ce village. Cependant, il a été renvoyé après sa période d’essai, en juillet 1879, parce qu’il ne se comportait pas comme il faut. Il se laissait aller, se promenait en chiffons. Il prenait soin des gens autour de lui mais pas de lui.
Qu’a-t-il fait alors ?
Il était complètement perdu. Il s’était engagé à fond comme le Christ l’avait fait et il se retrouvait licencié. Son père ne savait plus quoi faire. Il songeait à le faire enfermer dans un asile psychiatrique à Geel mais Vincent a décidé de revenir à Cuesmes parce qu’il ne trouvait pas d’autre poste. Il a alors été assistant prédicateur, en tant que bénévole. Il a vécu une grosse période de dépression où il avait complètement perdu le nord. C’est finalement après un long moment qu’il a eu un déclic. Il s’est dit que finalement, ce qu’il voulait, c’était devenir artiste et peindre. C’est donc à Cuesmes qu’il a étudié le dessin et débuté sa carrière. Le Borinage a vraiment été une période charnière dans sa vie.
Vous dites qu’il souhaitait s’engager auprès des pauvres avant de devenir peintre. Est-il descendu à la mine ?
Oui. Il est descendu en avril 1879 à Marcasse, à 700 mètres pendant 6 heures, accompagné par un mineur.
Était-ce pour travailler ?
Non, c’était simplement pour voir comment travaillaient les gens. Il en parle dans une lettre écrite à son frère. Il y décrit tout ce qu’il voit, c’est comme un tableau en paroles.
À part Marcasse, y a-t-il des lieux dans la région qui gardent des traces de son passage ?
Oui. Il y a les maisons de Cuesmes et Petit-Wasmes, le Salon du Bébé et l’ancienne gare de Pâturages puisque c’est par là qu’il est arrivé. Il s’est également rendu au charbonnage Trou à Dièves, à Dour, mais il n’en reste qu’une dalle. À Cuesmes, il y a aussi une maison et un mur qui étaient autour d’une cokerie. Il les a peints dans une aquarelle en 1880. Un autre endroit très important, c’est le charbonnage de l’Agrappe à Frameries. Aujourd’hui, il ne reste plus que l’emplacement des puits mais en 1879, il y a eu la plus grande catastrophe : 121 victimes dans un coup de grisou. Van Gogh y est allé pour essayer de secourir les gens.
Le Salon du Bébé, qu’était-ce ?
Aujourd’hui, ce sont 2 maisons mais, à l’origine, c’était un seul bâtiment où il y avait une salle. Le nom provient d’un jeu folklorique, une fête païenne, qui était célébrée jusqu’à la fin du XIXème siècle, à Petit-Wasmes. Cette fête s’appelait l’Alion.

En quoi cela consistait-il ?
On y fêtait l’arrivée du printemps. Un poupon était caché dans les bois. Les gens devaient le chercher puis il y avait une procession. La poupée représentait l’enfant qui avait passé l’hiver dans le bois et une nouvelle vie, le printemps. La population s’arrêtait à tous les cafés, y en avait pas mal à l’époque, et le dernier arrêt était le Salon du Bébé où l’on dansait.
Quel est le lien entre ce lieu et Van Gogh ?
La communauté protestante louait la salle, chaque dimanche, pendant une heure ou deux, pour organiser des rassemblements durant lesquels ils lisaient la Bible. C’est là que Van Gogh accueillait les croyants, ses moutons.
Aujourd’hui, vous faites perdurer sa mémoire à travers les visites guidées. En organisez-vous souvent ?
J’ai pris comme principe d’en programmer 3 par an : une autour de sa date de naissance fin mars, une autour de sa mort fin juillet et une dernière en automne, environ à la période à laquelle il a quitté le Borinage. Néanmoins, j’en organise également pour les groupes qui réservent. Cela fait environ un total de dix visites par an.
Cela intéresse-t-il uniquement les Belges ou recevez-vous également des visiteurs d’autres nationalités ?
Non, je rencontre des gens des quatre coins du monde grâce à ces visites. J’ai accueilli des Uruguayens au mois de juin et un couple d’Anglais en septembre. J’ai déjà eu des Japonais aussi.
C’est incroyable, comment peut-on connaître la région d’aussi loin ?
Les gens qui suivent un peu l’histoire de Van Gogh connaissent la région grâce à ses lettres. D’autres la découvre grâce à mon blog et ma page Facebook.
Avez-vous, vous-même, visité d’autres musées dédiés à Van Gogh ?
À part l’Angleterre et une partie des Pays-Bas, j’ai presque tout fait. Je suis même allé au Metropolitan Museum of Art de New York où l’on peut voir quelques toiles de Van Gogh.
Parlons avenir. Y a-t-il des événements prévus dans la région en lien avec Van Gogh ?
Le 2 février 2019, à Colfontaine, il y aura une conférence de Bernadette Murphy, une Anglaise. Elle a fait des recherches incroyables par rapport à l’oreille de Van Gogh. Elle souhaitait savoir ce qu’il s’était passé à Arles, la veille de Noël 1888. Avait-il vraiment tout coupé ? Elle a retrouvé dans un musée de New York une esquisse du médecin qui l’a soigné le soir même. Van Gogh aurait offert son oreille à une prostituée. Elle a voulu savoir qui était cette personne et a découvert que c’était, en réalité, la jeune fille responsable de l’entretien de la maison close.
Fin juillet, il y aura un événement appelé « Marcasse aux chandelles ». 129 bougies seront allumées, une pour chaque année depuis sa disparition.
Et, en 2020, nous prévoyons une année de commémorations pour fêter les 140 ans de la vocation de Van Gogh comme artiste. Il y aura de très nombreux événements à cette occasion.
Les prochaines visites guidées seront organisées le samedi 30 mars, le dimanche 28 juillet et le dimanche 6 octobre 2019. Pour plus d’informations ou pour réserver, rendez-vous :
